Quand on tire la lourde porte du 430 rue St-Pierre, il faut monter quelques marches et finalement, une seconde porte passée, on entre enfin dans la Librairie Bertrand. Le plancher propre grince un peu, on avance dans les rayons comme pénétré par le savoir que renferment les ouvrages. Claire Martinez, responsable des achats francophones nous a donné rendez-vous au fond du magasin, dans une belle salle haute, aux murs savamment garnis mais fermée au public.
“C’est assez difficile d’être une librairie indépendante, on se bat tous les jours! Par exemple, on n’a pas les derniers livres sortis en premier, ils sont d’abord expédiés dans les chaînes à gros volume. On compte sur nos clients pour être patients, mais on leur donne un service à la hauteur pour compenser!” explique sans détour Claire Martinez.
“Nous avons aussi un atout : nous sommes la seule librairie indépendante bilingue à Montréal. Nous proposons en boutique aussi bien des livres en français qu’en anglais. Nous aimons mettre l’accent sur cette particularité car elle répond à la demande de notre clientèle du Vieux-Montréal et des touristes qui nous visitent.”
Question marché, les règlements sont stricts. “Ce qui est intéressant, c’est que nous avons une licence pour pouvoir fournir les écoles anglophones en livres. Ça nous garantit une source de revenus mais ça nous contraint aussi à avoir 6000 titres anglophones proposés en boutique. Nous ne sommes pas obligés d’avoir des titres francophones mais ça, ça nous tient à coeur”.
Si les grands succès se retrouvent dans les deux langues, Claire note quand même des affinités de sujets avec une nette découpe linguistique: “Il y a des thématiques qu’on achète rarement en français, comme des livres de sciences par exemple, on va préférer des romans, des livres d’affaires, ceux sur la religion-spiritualité ou encore d’histoire. En anglais, la poésie marche très bien, la science et la biographie sont aussi des styles qui plaisent.” nuance la jeune femme.
“Avec les livres, on voit clairement les sujets de société, dans l’après #moiaussi, les livres sur le féminisme, les femmes fortes, surtout en jeunesse, on en voit beaucoup. Pour les enfants, il y a vraiment un effort vers l’inclusion et sur comment gérer ses sentiments. L’autre grande tendance c’est le zéro déchet, le retour à la nature. On est aux premières loges comme libraires des mouvements et changements de société”.
“Notre gros travail, ce n’est pas de grossir aujourd’hui, mais bien de nous faire connaître par les travailleurs et résidents ici” souligne Claire. Au niveau du quartier, la librairie apprécie les associations avec les établissements du Vieux-Montréal et la petite équipe embarque volontier dans les projets: L’Hôtel Saint-James refait sa bibliothèque? Pas de problème, la librairie lui a fourni de quoi se remettre à flot. Le Centaur a une nouvelle pièce? La Grande Braderie est l’occasion de dédicace? L’Atelier des Saveurs organise un événement? On sort les livres, récits, ouvrages de mode ou gourmands! “On est toujours très content de collaborer, c’est très enrichissant pour tout le monde ce type d’échanges” s’enthousiasme Claire. “Ce qu’on voudrait c’est que les résidents et travailleurs du Vieux sachent qu’on est là”. D’ailleurs, 10% de rabais sont offerts aux #gensduvieux!
La Librairie Bertrand fondée en 1952 a déménagé à plusieurs reprises mais plus que jamais l’équipe se sent à sa place dans le Vieux-Montréal. “La clientèle ici est une clientèle éduquée, souvent bilingue qui apprécie la culture mais souvent les gens viennent avec des titres qu’ils souhaitent acheter et qu’on ne connaît même pas, c’est très satisfaisant” sourit Claire Martinez.
“En terme de nouveauté, on va vraiment mettre l’accent sur ce qui plaît à notre clientèle, avec des livres d’ici, et pour les livres étrangers, ce sera pas mal les grands prix littéraires et les auteurs les plus connus, mais on aime aussi se laisser tenter par des premiers romans et les proposer à nos clients” précise-t-elle.
La Librairie, Claire l’a rejointe avant son déménagement dans ses locaux du Vieux, et pour elle, ça a changé son séjour canadien initialement prévu pour un an. Outre sa meilleure connaissance des sociétés québécoises et canadiennes à travers les ouvrages d’auteurs auxquels elle était exposée, “ce travail, ça a beaucoup aidé à mon intégration ici, me sentir comme dans une famille, vraiment accueillie. Les relations de travail sont assez différentes en France et ça fait 7 ans que je suis ici maintenant!”.
“J’ai une formation littéraire, puis je me suis spécialisée dans tout ce qui est archive. En finissant mes études, j’ai fait des remplacements dans des bibliothèques. Aujourd’hui, je vais travailler en souriant chaque matin et j’ai vraiment l’impression d’avoir un métier qui a une valeur”. Ce que Claire apprécie ce sont quand les clients se conseillent entre eux ou reviennent après un livre recommandé. “J’ai le sentiment du devoir accompli, la librairie devient alors un vrai lieu de rencontres et d’échanges, elle prend tout le sens qu’on essaye de lui donner”.